Billet d'humeur

Mes petites sardines

Mois suivant rime avec confinement. Encore et toujours. 

J15 donc.

 

Normalement, à cette heure, je devrais être en classe avec mes charmants petits élèves, souriants, dociles, toujours de bonne humeur, fervents défenseurs de la langue française et prêts à travailler d’arrache-pied jusqu’à plus soif.

Non ! Je blague, hein. Je reprends.

 

Normalement, à cette heure, je devrais être en classe avec mes chenapans (et encore, le mot est faible), dissipés, arrogants, fervents défenseurs de la langue bien pendue, toujours à faire les pires bêtises de la Terre.

Non… Ce n’est pas tout à fait ça non plus…

 

Aujourd’hui, 1 avril, j’aurais dû me retrouver en classe, face à mes élèves de 13 ans, et ça aurait dû être la pire journée de l’année scolaire.

C’est le jour du petit poisson dans le dos, des blagues à deux balles, le jour de la colle sur la poignée de la porte, de la punaise sur le siège du prof, de l’écran du tableau interactif à l’envers, des élèves cachés sous les bancs… le jour aussi de la vengeance de l’enseignant exaspéré par les pires bêtises de la jeunesse.

 

Chaque année, je prépare le coup.

Pendant plusieurs jours, je répète à qui veut l’entendre – et même à ceux qui font les sourds – que je n’ai pas d’humour, que je suis de mauvaise humeur, qu’on est en retard sur le programme et que si on ne s’y met pas sérieusement, ce sera irrattrapable… (et oui, ce mot existe, je viens d’aller le vérifier)

La veille, c’est leçon de vocabulaire. On revoit les traits de caractère et j’en profite pour leur expliquer ce que signifie le mot « rancunier ».

– Et vous l’êtes, Madame ?

– Oui, terriblement. Tu n’as pas idée.

 

Puis, le lendemain, jour du poisson, rien ne se passe. Aucune trace d’une nageoire ni même d’une écaille. Pas de petits remous ou de vagues à l’horizon. Ils n’ont rien tenté. Les lâches.

Parfois, j’ai des regrets. Je me dis qu’avec toutes ces précautions, je les ai limités dans leur créativité et dans leur épanouissement personnel.

Aujourd’hui, elle me manquent, mes petites sardines, celles qui restent dans le banc, mais aussi celles qui glissent, qui bougent, imprévisibles, qui font que la vie n’est pas un fleuve tranquille. 

Aujourd’hui, 1 avril, les petits poissons colorés sont restés muets, de vraies carpes.

Et ça, ça me rend triste.

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